La hantise des couleurs (épisode 2)
Le soir du jour suivant la déclaration de la police, alors que certains pensaient que tout était rentré dans l’ordre et que l’épisode de la veille n’était qu’un mauvais vent, les rumeurs avaient commencé à circuler, l'histoire était devenue cocasse, captivante et terrifiante. Les conversations dans les rues portaient sur le sujet ; certains parlaient de la nature céleste de ces masques, d’autres évoquaient plutôt leurs origines magmatiques ou encore, le maléfique projet dont ils sont porteurs. Au sein d’un groupe de jeunes adultes, agglutinés près du croisement Berri/Sherbrooke, la discussion s’intensifiait.
« Tabarnac! On dit que ces créatures sont toutes blanches et laides », dit un homme de grande taille qui semblait très bien introduit dans les coulisses du phénomène ; il ajouta : « Savez-vous ce qui m’étonne ? C’est la couleur étrange de ces créatures; certains témoins disent qu’elles sont blanches. Et pourtant, on le sait, il n'exite pas de monstres blancs, jamais. Je n’en ai jamais entendu parlé…».
- Bien sûr, on dit plutôt qu'ils sont tous jaunes et hideux, mais l’obscurité rends indiscernables leurs apparences, difformes et horribles à percevoir, répondit une jeune dame, dont le visage charmant est couvert d'un masque artificiel, de rouge à lèvres, de cheveux mauves, de faux cils, de faux sourcils, du maquillage.
- Il semble que vous n'ayiez pas tous des informations correctes, ces masques sont tous noirs. Il paraît que c’est la stupéfaction des témoins qui leur fait voir d’autres couleurs, sinon, tout le monde sait que toute créature bizarre est noire. C’est logique non…non ? Il chercha à obtenir l’acquiescement de tout le monde, avant d’ajouter, de vous à moi, avez-vous déjà entendu parler d’une autre race de diable que le noir ? C’est inimaginable, ce n’est même pas possible; tout au plus, il peut être rouge. Toutes les légendes, tous les livres, toutes les histoires le disent, le maléfique est toujours sombre. D’ailleurs, je vais vous raconter une histoire que j’ai suivi hier soir autour d’un café à propos de ces masques.
-Tu as raison, Louis. Lors de la distribution des aliments aux personnes démunies en décembre dernier au Jardin Gamelin, l’église distribuait des petites cartes sur lesquelles étaient mentionnées des significations de chaque couleurs que nous utilisons tous les jours. Le Blanc était la sainteté, la pureté, l’humilité, la libéralité et la Gloire divine. Le rouge : évoque la passion du Christ, le supplice des martyrs et la fête de la Pentecôte. Le vert symbolise l’espérance, la croissance, la paix et la nature créée par Dieu. Le violet représente la pénitence, le deuil et la mort. Le Bleu évoque la sérénité, la candeur et la célestialisé; mais le Noir, selon l’église, évoque toujours la pénitence, le deuil, le mysticisme, l’impureté.
Se sentant rassuré par cet appui que lui apporte Kevin, Louis se montra plus captivant, arrimant son discours à une gestuelle magistrale ; il voulait retenir l’attention. Tellement sa voix était rassurante sur les propos qu’il avançait, l’assistance avait l’impression que c’est lui-même qui était le témoin des faits. Mais il faut reconnaître le talent de certains orateurs. Louis était un orateur envoutant, même quand il racontait des débilités, on le prenait toujours au sérieux. Il avait alors continué son histoire.
«… Écoutez, dit-il, c’est une sombre histoire, une histoire vraiment noire, oui noire, pour être noire, elle l’est, cette histoire », il insista tellement sur la couleur que les autres furent obligés d’acquiescer de la tête pour le rassurer qu’ils ont compris. Louis jeta un coup d’œil pour vérifier si quelqu’un ne se sentait pas gêné autour de lui avant de continuer, « Selon l’histoire rapportée, les masques proviennent des profondeurs de la terre, ils sont d’origine africaine et émergent du noyau inférieur, le cœur de l’enfer, là où le feu et la roche dansent ensemble depuis des millénaires, le nid où résident les magmas. Ces abysses brûlants, ou Dieu lui-même n’a jamais osé poser ses pieds, renferment bien plus que la simple dégoulinante larve qui émerge des éruptions volcaniques ; ils refermeraient des secrets les plus sombres de toute vie, de la vie..."
Alors que ses amis écarquillaient les yeux pour témoigner de cette version, Louis y perçut une occasion d’amplifier l’histoire. Oui, ajouta-t-il, c’est hier soir que j’ai appris cette version, dans ce feu ardant, résideraient de sombres créatures. Je me suis demandé comment est-ce possible ? Je vous le jure, j’ai suivi les gens le dire, croyez-moi sur parole. Je n’y croyais pas, mais en écoutant davantage, j’ai pensé que cette histoire pouvait être vraie. En tout ca, il est dit que c’'est là, dans cet ardent brasier que commence l’histoire de la vie des monstres. Alors, les âmes des masques revenants, créations étranges forgées par les fertiles imaginations humaines des premières heures en Afrique, y avaient été enfermés pour ne pas perturber la quête de pouvoir de l’homme sur les autres créatures. Autrefois, les sculpteurs, dans leur arrogance, avaient cru pouvoir créer une âme pour chacun de leurs œuvres afin que celles-ci les aident à atteindre les ancêtres, mais comme les humains manquent parfois de subtilité, ils avaient attribué des forces mystiques supérieures aux masques sans aucune mesure de contrôle et ceux-ci ont commencé à rivaliser avec leurs concepteurs. Ces derniers, après avoir essayé vainement de soustraire les âmes aux masques, décidèrent ainsi d’éconduire ces âmes pour les enfermer dans le ventre de la Terre, dans les abîmes ardents des profondeurs. Ils pensaient les avoir cachés à tout jamais en les oubliant dans les profondeurs de la Terre dévoreuse. Les humains croyaient alors que les âmes ainsi jetées au feu allaient bruler et disparaître pour toujours. Mais, ils avaient oublié que l’âme ne brule pas, tel le vent, l’âme anime plutôt le feu, le rendant davantage plus vif. Ces âmes enfermées, y ont attendu depuis des siècles, des milliers d’années pour émerger et prendre leur revanche. Elles sont devenues indomptables ; elles brûlent, elles dansent, elles cherchent toujours la lumière, même au cœur des ténèbres. Les masques, façonnés par ces âmes oubliées, se sont échappés des magmas, portant avec eux les souvenirs et les tourments de ceux qui les avaient façonnés. Leur mission était claire, leur destin tracé par le feu : trouver ceux qui les avaient oubliés, les hommes qui avaient tenté de les enfermer, et leur rappeler la vérité qu'ils avaient voulu fuir. Dans cet océan de braise pavé de secrets sordides, les masques revenants firent leur première halte et jurèrent de remonter à la surface. Ils se glissèrent silencieusement entre les ombres des fumées. Chaque pas, chaque souffle était empreint de la promesse d'une révélation imminente. »
Louis avait réussi à créer un silence absolu autour de lui. Son histoire était si captivante que même les passant s’arrêtèrent pour écouter. Un petit homme, assis sur l’escalier devant un immeuble non fonctionnel et qui suivait attentivement les échanges entre le groupe d’amis voulait aussi participer au débat qu’il trouvait intéressant.
- Votre histoire est fascinante. Bravo ! Mais, pour revenir à la race, il se dit que ces masques sont rouges, affreux et monstrueux. C’est écrit dans le journal. Il tendit une feuille de journal sur laquelle est écrit « Des monstres rouges venus des profondeurs sèment la terreur à Montréal ». L’on continua, les témoins nocturnes le confirment, ils sont rouges, les rouges, les dangereux, des sanguinaires, ces rouges…ils sont rouges, pour être rouges, ils sont rouges mes chers, rumina le petit homme.
Le petit homme se leva, comme interpellé par quelqu’un, alluma une cigarette puis se dirigea vers un la rue Saint-Denis.
Le groupe d’amis resta silencieux, sans mot dire. Stupéfaction, curiosité et hantise se lisent dans ces regards. Les cloches et les sirènes de la police se mirent à résonner dans la ville. La nuit s’annonçait angoissante, que se passe-t-il ? Se demandèrent les habitants de la métropole…
By Banesé
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